Nous avons décidé de souligner l’apport important, pour le comité de la condition fémine, d’une femme engagée, fonçeuse, humaniste aussi, ayant une grande conscience sociale
Adrien LeMoignan, son père, était directeur du département des incendies de la ville de Montréal. Sa mère Laura, reine au foyer comme on disait dans le temps, et trésorière sans portefeuille. Ils eurent six enfants, dont cinq ont survécu.
Lucille est née un 20 mars, jour de tempête de neige. Elle annonçait le printemps qui débuta le 21 mars cette année-là.
Lucille perd sa place de petite dernière à l’âge de 1 an à l’arrivée du seul garçon de la famille. Elle était l’enfant du milieu; elle faisait le trait d’union : trop jeune pour les deux plus vieilles, trop vieille pour les deux plus jeunes.
Enfant rebelle et contestataire après deux soeurs anges de docilité, elle en a fait voir de toutes les couleurs à ses parents. À 3 ans et demie, lors d’un voyage aux États-unis, Lucille part à l’aventure seule. On la retrouve au poste de police, petite fille aux boucles blondes toute noire de réglisse. De cette escapade, elle fait la remarque à son père: « C’est du grand monde, mais ils ne savent pas parler », car ils parlaient bien sûr en anglais qu’elle ne comprenait pas. Ce fut une bonne blague reprise souvent à l’occasion du Temps des Fêtes.
Elle a fait son cours primaire de la 1re à la 3e années à l’école St-Jean Berchmans. Une religieuse lui avait dit que, lorsque l’on portait son scapulaire, on ne pouvait pas se noyer. Donc Lucille en fit l’expérience et sauta dans neuf pieds d’eau , sans savoir nager. Heureusement pour nous, elle a survécu à cette tentative.
Elle poursuivra ensuite de sa 4e à sa 8e années à l’école Madeleine de Verchères, chez les soeurs Jésus Marie. Son père Adrien était en admiration pour ceux qui parlaient anglais. Donc, sans la prévenir, elle qui n’en disait pas un mot, il l’inscrit à l’école anglaise. Elle vit cela comme une immersion sauvage, elle la seule Canadienne de langue française dans cette institution. Elle est alors vite rejetée par le corps professoral, parce que cela demande trop d’attention ; elle devient aussi le bouc émissaire des élèves qui remarquent son rejet. C’est mal connaître Lucille qui a alors 14 ans. Après que des garçons se soient emparé de son dîner et l’aient lancé sur les murs, elle alla directement au bureau du directeur. « Sir, ( et elle pointa le doigt vers le dictionnaire) book. » Elle repartit et revint plus tard en disant : « Sir, the boys pitch my sandwich under the bench ». Le directeur descendit dans la grande salle où Lucille pointa les garçons responsables du méfait. Le directeur sermonna les jeunes, en leur disant que les Canadiens français trouvaient cela inacceptable comme geste. Leur rôle était de la protéger, elle la seule Canadienne française à l’école. Cela a réglé le problème pour le reste de son secondaire.
Une autre expérience dont elle se souvient bien a été la visite du curé venu rencontrer les élèves dans le gymnase. Le curé leur dit : « It will be holiday on monday !.. ». Lucille applaudit avec les élèves , mais se présenta le lundi matin : elle était seule à l’école. Le concierge la reconnut et lui fit remarquer qu’elle avait applaudi avec les autres à l’annonce du curé. C’est la première phrase que Lucille n’a pas oubliée, en anglais.
On lui décerna une bourse d’études à la fin de son secondaire pour son talent, mais elle a dû la refuser , car son père n’acceptait pas cela, par justice pour ses soeurs qui ne faisaient pas d’études, à cause de leur santé précaire. Elle entreprit alors un cours commercial au Lavoie Business College, une école privée.
Ses parents, en désespoir de cause parce qu’elle n’était pas croyante, ont fait venir le curé pour lui parler. Celui-ci lui demandant pourquoi elle ne venait pas à la messe, Lucille lui répondit : « Est-ce vrai que, lorsqu’on assiste à la messe, on a un mérite infini? ». Comme le curé a acquiescé, elle dit : « Donc je suis allée à la messe une fois; ça suffit. ».
Elle entra donc sur le marché du travail, en remplacement de sa soeur qui se mariait et ne pouvait donc continuer à travailler. Elle gagnait 27$ par semaine comme secrétaire pour la Maison du livre français, et aussi pour la compagnie Paula, entreprise de produits pharmaceutiques. Après deux ans, elle changea de place, malgré la désapprobation de ses parents. Elle fit une demande d’emploi auprès de l’armée canadienne, pour être télétypiste, soit l’ancêtre de l’ordinateur, grâce à son anglais. Elle commença à 39$ par semaine. En rebuffade, elle dit à ses parents : « Voyez-vous? quand on n’écoute pas ses parents, c’est payant. »
À 18 ans, on la voit militer dans les partis de gauche pour améliorer la société. Elle fonda un ciné-club où elle présentait des films avec un contenu social, suivis d’une discussion. Cela se situait dans une ancienne manufacture louée par des artistes et nommée ‘’La Place des Arts’‘ sur l’emplacement même de l’actuelle Place des Arts. Elle a côtoyé des artistes tels que Robert Russell, sculpteur, Madeleine Ferron, Riopelle, Armand Vaillancourt, entre autres. Aux séances du ciné-club, il y avait des assistances de 50 personnes et plus parfois, signe que ça fonctionnait très bien. Après 3 ans de projection, son père, en tant que chef des pompiers, a fait fermer l’endroit, parce que le site était dangereux pour le feu .
Pendant son travail dans l’armée canadienne, elle a rencontré l’élu de son coeur, André Perron. Elle a 20 ans. Un soir, après une de leurs rencontres, elle arriva à la maison 30 minutes en retard. Son père mécontent lui dit à travers la porte: « Je ne sais pas si je vais te laisser entrer! » Et Lucille de répondre: « Tu ouvres ou je pars! » Et elle est partie vivre avec son amoureux. C’est probablement une des premières filles à aller vivre avec un garçon avant le mariage. André n’était pas bien vu par la famille de Lucille, n’étant pas catholique et venant du Lac Saint-Jean, et non de Montréal. Il était considéré comme un immigré. Ils se sont quand même mariés en 1953.
De 20 à 24 ans, elle étudie en comptabilité et en mathématique, et travaille en même temps. Le 7 mars 1957, une journée avant la fête des femmes, elle reçut le plus beau cadeau de sa vie. Sa fille Sylvie naît et, comme elle la réussit du premier coup, elle n’en a pas fait d’autres. À partir de cet instant elle reste à la maison pour prendre soin de sa fille.
En 1964, elle fonda une entreprise de structures d’acier, la Métalloy Inc. avec deux partenaires, entreprise qu’elle garda jusqu’en 1970. Elle travailla pour Expo 67, aux pavillons de la Grande-Bretagne, de l’Ile Maurice, des Indiens, ainsi que sur les joints d’expansion du pont Jacques-Cartier. Vous voyez déjà toute la diversité de son expérience.
En 1970, elle vend ses parts dans l’affaire pour deux raisons: elle trouvait qu’elle exploitait ses 25 ouvriers en les payant 12$ de l’heure, alors qu’elle en retirait 20$ de l’heure. La 2e raison concernait son partenaire qui était devenu alcoolique grave.
Elle croyait être en sabbatique pour trois ans au moins avec cette vente. Mais, au bout de trois mois, elle reçut un appel d’un directeur d’école de Montréal. Il avait besoin d’une suppléante pour une semaine. Devant l’efficacité et le succès de Lucille, le directeur l’envoya à la commission scolaire signer un contrat. Elle enseigna donc la comptabilité, la machine à écrire, le français, la sténo et l’anglais durant 2 ans à l’école Rouen-Desjardins à Montréal. Ayant la piqûre de l’enseignement, elle décida d’être permanente et rencontra Monsieur Robert Belisle de la régionale de Chambly pour enseigner les matières commerciales. À Gérard- Fillion, elle se recycla en économie familiale, en écologie, en morale et en anglais. Elle y restera 12 ans.
Lucille est une fille qui a beaucoup d’humour ; elle a réussi à elle seule à fermer l’école Gérard -Fillion durant une demi-journée en jouant un tour au directeur, elle se fit passer pour une maman qui avait eu à se plaindre de vermine dans l’école.Comme l’équipe syndicale était très forte dans cette école, l’autorité en place décida de briser cette équipe en relocalisant les membres un peu partout. Lucille aboutit alors à la polyvalente de Chambly où elle organisa une marche pour la paix à laquelle ont participé tous les élèves et les citoyens . Lors de cette activité, tous les notables de la ville ainsi que Micheline Sicotte de la CEQ assistèrent à un lancement de ballons avec un message à l’intérieur. Quelques semaines plus tard, Lucille reçut un appel d’une province de l’Ouest canadien disant avoir trouvé le message.
Après quelque temps, elle fut transférée à André- Laurendeau pour y finir sa carrière.
Son deeuxième plus beau cadeau arriva le 5 janvier 1985, un petit-fils, qui illumina sa vie et mit fin à une dépression. En plus d’être sa grand-mère, elle est devenue en quelque sorte sa deuxième mère. Il a donc eu la chance d’en avoir deux. Tout comme elle, il défend la cause des démunis et a hérité du sens de l’humour de Lucille.
Fin août 1995, elle reçut un appel du syndicat pour prendre sa retraite avec prime, car il y avait un surplus dans son champ d’enseignement. Elle accepta.
Lucille a toujours fait du bénévolat, que ce soit comme aidante naturelle auprès d’amies malades ou des membres de sa famille, avec son ciné-club ou comme militante du Parti Québécois. Elle a travaillé à l’indépendance du Québec depuis l’élection de René Lévesque et y travaille encore.
Elle a oeuvré aussi pendant trois ans à la Maison des enfants de Montréal comme psychologue.
De 1997 à 2000, elle a été conseillère au comité directeur du Vieux-Longueuil; de 1997 à maintenant pour la Fondation Laure-Gaudreau. Depuis 2004, elle est un membre actif du comité de la condition des femmes.
Lucille a toujours été une femme très active avec beaucoup d’humour. Le groupe de 25 personnes de l’atelier « J’écris ma vie » se souviendront toujours du plaisir éprouvé à la côtoyer et la hâte de revenir la semaine suivante pour entendre la lecture du récit de sa vie, pourtant une période difficile parfois pour elle, mais qui réussissait à nous faire rire aux larmes avec son humour irrésistible. Si vous voulez rire, demandez -lui de vous raconter le « No where » du curé.
Pour terminer, c’est un grand honneur pour moi de te côtoyer, Lucille et d’avoir partagé ta vie, toi qui a toujours oeuvré pour la cause des femmes , pour la liberté d’expression et pour la lutte contre les injustices.
Mesdames, messieurs, accueillons Madame Lucille Le Moignan.
Le comité de la condition de la femme